La science-fiction et l’anthropologie : des récits entrecroisés / 1

Des origines aux livres-univers[1]

Par Martin Hébert

Ce texte a d’abord été publié dans la revue Solaris (2013, no 183).

Si l’on compare l’histoire des sciences sociales et celle des littératures de l’imaginaire, nous constatons qu’il s’agit de deux formes de discours qui se sont influencées mutuellement à de multiples reprises. Nous pouvons certainement documenter ces entrecroisements à une époque ou une autre. Le véritable intérêt de ces contacts, cependant, est de nous permettre de les mettre bout à bout pour constater à quel point ces deux domaines d’écriture, pourtant bien différents à première vue, se sont constamment nourris l’un à l’autre au fil de leur histoire.

Dans ce texte, j’aimerais peindre à grands traits cette parenté qui remonte à plusieurs siècles. Bien sûr, en tentant de prendre un pas de recul et de regarder la forêt dans son ensemble, plutôt que d’entreprendre une étude détaillée des arbres qui la composent, je vais nécessairement faire violence tant à l’histoire des littératures de l’imaginaire en général (et à l’histoire de la science-fiction en particulier) qu’à l’histoire de mon propre champ de recherche qu’est l’anthropologie. Il me semble cependant que le jeu en vaut la chandelle, dans la mesure où ce tableau peint à grands traits une parenté entre des récits « constructeurs de mondes » qui devrait être célébrée, mais qui est malheureusement souvent cachée. Les anthropologues doivent comprendre les affinités de leur discipline avec les littératures de l’imaginaire. En ce sens la présente réflexion s’inscrit encontinuités avec des études qui non seulement ont tenté de mettre ces affinités générales en évidence, mais plus spécifiquement avec des études qui ont documenté les incursions des anthropologues dans le champ de la science-fiction (SF) en particulier[2]. Les recoupements qui existent entre l’anthropologie et la SF marquent l’histoire de cette discipline. Ils aident les anthropologues à comprendre leur propre rôle créateur dans l’écriture scientifique qu’ils produisent et, comme nous le verrons, à comprendre l’intersection entre deux formes de discours qui peut servir d’incubateur à des visions radicalement nouvelles de l’humain et de la société.

Pour leur part, les créateurs et amateurs de science-fiction ont aussi intérêt à mieux connaître la parenté qui existe entre leur genre préféré et l’anthropologie. Les univers humains sont d’une richesse et d’une variété qui font souvent pâlir la fiction. Plonger dans une monographie sur les Abkhasiens du Caucase, où il est coutume pour les femmes de chefs d’allaiter les enfants de leurs ennemis en guise de rituel de réconciliation, peut être plus dépaysant que n’importe quelle fiction prenant place sur la planète Triton X-34. Les auteurs de SF sont en dialogue, consciemment ou non, avec le savoir anthropologique de leur temps. Ils y puisent souvent de manière à peine déguisée pour inventer leurs sociétés. Apprendre à reconnaître la « théorie » anthropologique sous-jacente à cette invention peut apporter un nouveau degré d’appréciation des œuvres elles-mêmes. Par ailleurs, à mesure que la science-fiction cesse d’être l’affaire d’hommes blancs occidentaux et devient plus représentative de la diversité des expériences humaines, de nouveaux univers science-fictionnels s’ouvrent à nous. Mais pour les apprécier pleinement, il peut être utile de comprendrepourquoi, et en quoi, la SF mexicaine, sénégalaise, aborigène australienne, afro-américaine ou indienne diffère des formes reconnues du genre.

Les univers humains sont d’une richesse et d’une variété qui font souvent pâlir la fiction

Nous vivons dans un monde de plus en plus science-fictionnel. Des auteurs s’associant naguère à la SF, comme William Gibson, se transforment par degrés insensibles en commentateurs de la culture mondialisée contemporaine. Des philosophes comme Jean Baudrillard ou Donna Haraway se tournent vers la SF pour penser un monde dans lequel le rythme des changements sociaux et technologiques a dépassé depuis longtemps notre capacité à comprendre ces transformations en temps réel. Bref, il semble aujourd’hui que si vous n’écrivez pas de science-fiction, votre anthropologie est périmée et que si vous ne lisez pas d’anthropologie, votre science-fiction est dépassée. Pas de panique cependant, ce n’est là que le visage actuel d’une ancienne symbiose…

Les origines

Tant les frontières de la science-fiction que celles de l’anthropologie sont contestées, contestables et pourtant activement patrouillées par des armées de critiques. Comme le notaient les éditeurs d’un volume récent, plusieurs personnes ont une idée plutôt claire de ce qu’elles pensent être de la science-fiction, mais généralement il n’y en a pas deux qui s’entendent sur le sens précis qu’elles donnent à ce terme[3]. Nous pourrions en dire autant de l’anthropologie.

Pour situer, sans trop nous perdre, l’exploration que je propose ici, disons simplement que les pages qui suivent porteront sur ce que certains ont nommé la « sciences-sociales fiction » (social-science fiction)[4] , « ethno-fiction »[5], ou « hétérologie », un terme que je reprendrai ici à Michel de Certeau. Il s’agit de formes d’écriture spéculative, dont la matière première est la nature et la diversité des sociétés. Ces sociétés peuvent être celle de l’auteur, sur laquelle ce dernier porte un regard éloigné, ou encore lui être « exotiques », incluant des sociétés du passé, du futur, des sociétés animales, ou encore des sociétés liant des humains avec d’autres types de non-humains tels des plantes, des éléments du paysage, des machines ou des objets. Partant de ces savoirs, et bien sûr de l’imagination propre de chaque auteur, ces derniers produisent des univers inédits. Dans le monde de la fiction, cette production est nommée « création » et dans celui de la science elle est nommée « interprétation », mais les deux renvoient, essentiellement, à un désir d’explorer la diversité sociale et culturelle en la mettant en scène dans des récits[6].

La forme la plus ancienne de fusion entre les littératures (orales) et l’anthropologie est sans doute celle du mythe. Les termes de « science » et de « fiction » semblent inappropriés pour parler du mythe. Pourtant, nous trouvons dans ces anthropologies avant la lettre une véritable production de savoirs à propos de l’émergence des humains, des origines de leurs attributs marquants (langage, division femmes-hommes, la culture, etc…), de même que des raisons expliquant leur diversité. Par ailleurs, comme nous le rappelle Paul Veyne dans Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes?, il ne faut pas confondre le sérieux qu’une société accorde à ses mythes avec une supposée croyance que les faits relatés sont « vrais », au sens où l’entend la science occidentale moderne[7]. Il existe plusieurs formes de vérités et il serait erroné de prétendre que tous les producteurs de récits, de toutes les époques et de toutes les cultures, cherchent la même.

Reconnaissant cette place des mythes, et plus particulièrement des mythes de création, dans la généalogie de la longue relation entre l’anthropologie et les littératures de l’imaginaire, de même que l’importance de prendre en compte le fait que l’hétérologie peut jouer, et doit être comprise, sur plusieurs registres de vérité à la fois, examinons maintenant quelques-unes des formes qu’a prise cette histoire partagée.

La fiction spéculative

D’éminents commentateurs de l’histoire de la science-fiction, comme Darko Suvin[8], ont souligné la filiation évidente qui existe entre ce genre et la littérature utopique. L’Utopie de Thomas More (1516) est, ici la référence incontournable. Cet ouvrage occupe une place centrale tant dans l’histoire de la SF que dans celle de l’anthropologie. Nous pourrions nous étendre longuement sur l’intimité de ce lien, qui est central à la présente discussion. Deux facteurs semblent avoir joué un rôle déterminant dans cette jonction qui a fait, en quelque sorte, des littératures de l’imaginaire et des sciences sociales des jumeaux siamois fusionnés à leur naissance et jamais totalement séparés depuis. Le premier sont les sanctions associées à l’articulation d’une critique sociale explicite dans l’Europe des XVIe-XVIIe siècles. Ces sanctions ont souvent fait en sorte que, comme dans L’Utopie de More, il était beaucoup plus facile de présenter ces critiques sous une forme métaphorique que de manière explicite.

Image tirée de ''The Spanish letter of Columbus to Luis de Sant'Angel : dated 15 February, 1493''. Source : Creative Commons.

Image tirée de ”The Spanish letter of Columbus to Luis de Sant’Angel : dated 15 February, 1493”. Source : Internet Archive Book Images sur  Creative Commons.

Le second facteur est lié aux difficultés de connaître un monde qui, au début du XVe siècle, période qui suivait immédiatement le Contact entre l’Europe et l’Amérique, semblait de plus en plus mystérieux et exotique, peuplé de « tribus » inconnues aux mœurs qui semblaient radicalement différentes de celles connues en Europe. Ce nouveau matériel ethnographique, fourni par les récits dévorés en Europe durant cette période (récits de Colomb, Sahagun, Cartier, Cortez, Bernal Diaz del Castillo, etc…), devint une mine pour « penser le monde autrement ».

Comment sous estimer l’importance de cette littérature de voyage, cette ethnographie naissante, sur les littératures de l’imaginaire? Si les récits de voyage de l’antiquité nous ont donné Atlantide, les cyclopes et les griffons, les récits d’exploration du nouveau monde nous ont donné : le mythe de la fontaine de jouvence (Ponce de León en Floride 1513), le mythe de l’Eldorado et des cités perdues (1531[9]).

Il serait trop long d’établir une liste des héritiers de L’Utopie de More, tant dans la littérature considérée comme faisant partie des sciences-sociales[10] que celle dite « de l’imaginaire »[11]. Mais leur forme est assez constante : (1) elle est généralement calquée sur le récit de voyage, (2) implique la rencontre d’êtres aux coutumes exotiques et (3) utilise le contraste entre les sociétés observées et la notre pour porter un jugement politique ou moral.

À mesure que les découvertes de l’ère « des explorations » (début du XVe siècle au début du XVIIe siècle) rendirent la terre plus familière et la navigation intercontinentale plus commune, le regard des penseurs commença à se tourner vers les cieux et les mondes extra-terrestres[12]. Les Entretiens sur la pluralité des mondes de Bernard de Fontenelle illustrent bien comment au XVIIe siècle les réflexions sur les mondes extraterrestres pouvait être une extension de la réflexion sur la richesse des mondes terrestres découverts par les explorateurs. Pour cet auteur, il était erroné de prétendre comme ses prédécesseurs, dont Kepler et Copernic, l’avaient fait, que l’on trouverait des humains sur les autres planètes. L’exploration du monde avait déjà montré tant de diversité et de variabilité entre les humains de la terre, que l’on ne pouvait qu’imaginer des découvertes encore plus extraordinaires dans les mondes extraterrestres. Le lien avec les découvertes et les fabulations de l’ère des explorations est explicite chez cet auteur :

« Je ne crois point du tout qu’il y ait des Hommes dans la Lune. Voyez comment bien la face de la Nature est changée d’ici à la Chine? D’autres visages, d’autres figures, d’autres mœurs, et presque d’autres principes de raisonnement. D’ici à la Lune le changement doit être bien plus considérable. Quand on va vers certaines Terres nouvellement découvertes, à peine sont-ce des Hommes que les Habitants qu’on y trouve; ce sont des animaux à figure humaine, encore quelquefois assez imparfaite, mais presque sans aucune raison humaine. [Si nous pouvions] pousser jusqu’à la Lune, assurément ce ne seraient plus des Hommes qu’on y trouverait »[13]

Nos sensibilités contemporaines lisent ce passage comme l’expression du racisme de leur auteur. Mais ce que La Fontenelle tente d’évoquer dans ce passage est avant tout ce que lui et ses contemporains percevaient comme l’extraordinaire diversité des habitants de la Terre. Pour lui, la nature pouvait donner naissance à tant de formes différentes que, assurément, si nous quittions les confins de notre planète, nous pouvions nous attendre à rencontrer des êtres encore plus différents que tout ce qu’il nous avait été donné de voir. Cette ouverture en imagination à une altérité encore plus radicale que tout ce qui lui était connu est la contribution la plus importante, tant au point de vu anthropologique que science-fictionnel de cette littérature sur la pluralité des monde. Peu importe la diversité que vous croyez connaître, dit essentiellement La Fontenelle, la nature saura toujours vous surprendre, surtout si vous voyagez loin. En cela, il s’opposait consciemment à ses prédécesseurs, comme l’Arioste ou Kepler qu’il cite nommément, qui se contentaient de mettre en scènes des extraterrestres qui n’étaient ni plus ni moins que des Européens de leur époque vêtus un peu différemment.

Les spéculations philosophiques à propos de la pluralité des mondes pouvaient certes permettre une réflexion sur l’altérité. Mais en opposition de la créativité pratiquement inimaginable de la Nature, rendant impossible d’anticiper les formes physiques et morales des extraterrestres, nous trouvons une autre tendance, illustrée par les écrits de Christiaan Huygens, insistant sur l’unité de la Nature. Huygens ne fait pas que présenter des « planétaires », comme il dit, sous la forme d’Européens de son époque. Il développe une argumentation détaillée pour prouver que des êtres dotés de raison habitent nécessairement les autres mondes du cosmos et que, si tel est le cas, ces êtres doivent nécessairement partager plusieurs caractéristiques fondamentales avec les humains, comme être dotés des mêmes cinq sens que nous, vivre en société, connaître l’astronomie, etc[14].

L’écart apparent entre les positions de Bernard de Fontenelle et celles de Huygens cache un questionnement anthropologique commun à propos des variations possibles sur le thème de la vie intelligente et le rapport entre la diversité des peuples sur la terre et la diversité des peuples dans l’univers. Pour l’humaniste qu’est de Fontenelle, la diversité des cultures humaines est déjà énorme et, pourtant, ne reflète qu’une infime partie de la diversité inimaginable de l’Univers. Pour le mécaniste Huygens, la diversité terrestre est aussi grande, mais épuise déjà l’ensemble des possibilités logiques de développement de la société allant du simple au complexe. A priori, cette position paraît naïve et Huygens semble décidément manquer d’imagination. Mais il soulève une question fondamentale : jusqu’à quel point peut varier la raison sans cesser de nous être reconnaissable comme de la raison, jusqu’à quel point peuvent varier les formes de la famille, de la société, de la culture, du langage, de la religion sans devenir quelque chose de radicalement nouveau et incompréhensible pour nous? Pour Huygens, la réponse à cette question semble claire : pour toutes ces dimensions de la vie intelligente, et bien d’autres, la terre comporte déjà tous les degrés allant du simple au complexe. Malgré des différences superficielles, les extraterrestres doivent donc nécessairement s’insérer quelque part dans ce spectre connu. Le recours au savoir anthropologique de son époque conforte Huygens dans cette position :

« Ne doivent-ils pas (les extraterrestres) avoir leurs gouverneurs, maisons, villes, commerce et échanges? Pourquoi n’en auraient-ils pas, quand même les peuples barbares des Amériques et autres endroits en avaient au moment où ils furent découverts ».

Encore une fois, il est aisé de ne voir que le racisme de ces propos. Mais il faut aussi voir la cohérence interne de l’anthropologie de Huygens et son extrapolation aux extraterrestres : la croyance en une chaîne du vivant (et des sociétés humaines) allant par degrés insensibles du simple au complexe, de la société des abeilles à la société de l’auteur, ne laisse tout simplement pas de place pour penser des sociétés radicalement différentes hors de cette chaîne. Pour Huygens la démonstration était donc faite : il serait erroné de s’attendre à rencontrer des mondes extraterrestres radicalement différents de celui que nous connaissons.

Entre les deux pôles de spéculation philosophique sur la pluralité des mondes représentés par de Fontenelle et Huygens, s’ouvrait donc un espace fertile de réflexion sur le degré possible de différence des êtres dans l’univers. Tant en anthropologie qu’en science-fiction le pendule oscillera, jusqu’à nos jours, entre les récits de rencontres avec l’« altérité radicale » et ceux à tendances plus universalistes. Tout se jouerait dorénavant dans le « contact ». Alors que l’anthropologie décrivait peu à peu les peuples reculés du monde, révélant les curieux mélanges d’étrangeté et de familiarité provoqués par la rencontre de nouvelles sociétés humaines, la science-fiction, elle, se tourna vers les astres pour explorer la complexité de cette rencontre avec l’Autre.

Ce texte sera publié sous forme de série. Lisez la suite demain!

Martin Hébert est professeur titulaire au département d’anthropologie de l’Université Laval (Québec, Canada) et auteur de science-fiction. Dans ses travaux anthropologiques il aborde principalement les rapports entre les imaginaires et le politique. Il s’intéresse à cette intersection en étudiant des conflits, des mobilisations et des propositions de transformations sociales qui marquent la vie politique de peuples autochtones d’Amérique latine et du Québec. Il est membre du GRIPAL et du CIÉRA. En 2001, il reçoit le prix Solaris de création littéraire pour sa nouvelle “Derniers Jours”. Il a siégé sur le jury du prix Jacques-Brossard–Grand Prix de la science fiction et du fantastique Québécois à deux reprises depuis 2010. Il peut être rejoint par courriel à Martin.Hebert@ant.ulaval.ca ou sur Linkedin.

 

  1. Ce texte s’inspire de ma participation à la table ronde intitulée « Les sciences sociales dans les littératures de l’imaginaire » dans le cadre du Congrès Boréal 2010, tenu au CÉGEP de Sainte-Foy.
  2. Leon E. Stover et Harry Harrison, éds., Apeman, Spaceman: Anthropological Science Fiction, New York, Doubleday, 1968 ; Leon E. Stover, « Anthropology and Science Fiction », dans Current Anthropology, Vol. 14, No. 4, 1973, pp. 471-774; Alan Barnard, « Tarzan and the Lost Races: Anthropology and Early Science Fiction » dans Tarzan was an Eco-Tourist , New York, Berghahn, 2006, pp.58-74 [L.A. Vivanco et R.J. Gordon, éds.]; Jacques Meunier, « Fictions et mythes ethnologiques », Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris PUF, 1991, p. 278. [Pierre Bonte et Michel Izard, éds.]
  3. Andrew M. Butler, Mark Bould, Adam Roberts et Sherryl Vint, « Introduction » dans Fifity Key Figures in Science Fiction, Londres, Routledge, 2010, p.xx.
  4. Yolle G. Sills, «Social Science Fiction» dans International Encyclopedia of the Social Sciences, Vol.14, New York, Macmillan and Free Press, 1968, pp.473-481
  5. Martin Hébert, « L’ethno-fiction: soi-même comme un autre », Solaris, no.134 (supplément en ligne), Été 2000, pp.133-140
  6. Il resterait beaucoup à dire à propos de cette définition. Entre autres, il faudrait préciser le rapport entre l’hétérologie et la fantasy. L’hétérologie est un processus d’écriture davantage qu’un contenu. En ce sens, beaucoup de fantasy paraît être de l’hétérologie mais, en fait, n’est pas une spéculation sur le social. Elle prend plutôt pour acquis un monde de légende où existent la magie, les dragons, les elfes, etc… et y met en scène des aventures. Dans ces cas, son rapport à l’hétérologie est analogue à celui du space opera à la hard SF. Bien entendu, une part substantielle de la fantasy est tout à fait hétérologique. Tolkien, à qui nous ferons référence plus loin, est sans contredit la figure emblématique du croisement entre les humanités (la philologie dans son cas) et la création de mondes fictionnels. Plusieurs autres œuvres hétérologiques majeures identifiées à la fantasy auraient aussi pu être citées, mais nous nous intéresserons moins, ici, aux rapports entre les genres qu’aux rapports entre ceux-ci et l’écriture anthropologique, d’où notre insistance, assurément simplificatrice, sur la SF aux détriments des autres littératures de l’imaginaire.
  7. Par ailleurs, des historiens des sciences ont montré de manière convaincante comment, même au sein de la « science occidentale » comprise au sens le plus strict du terme, la notion « d’objectivité », comme attitude nécessaire à la découverte rigoureuse, a été extrêmement variable. Pour une synthèse détaillée de ces transformations historiques, voir Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivity, New York, Zone Books, 2010
  8. Darko Suvin, Metamorphoses of Science-Fiction : On the Poetics and History of a Literary Genre, New Haven (CT), Yale University Press, 1979
  9. Mythe recueilli par les expéditions de Pizarro, Diego de Ordaz et autres Conquistadores.
  10. A New View of Society de Robert Owen, 1813 ; les travaux de Charles Fourier, etc.
  11. Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, 1726, par exemple.
  12. Michael J. Crowe, The Extraterrestrial Life Debate, 1750-1900: The Idea of a Plurality of Worlds from Kant to Lowell, Cambridge, Cambridge University Press, 1986
  13. Bernard de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, Paris, Michel Brunet, p.83-84, 1724 (1686) [7ième édition, augmentée]
  14. Christiaan Huygens, The Celestial Worlds Discovered: Or Conjectures Concerning The Inhabitants, Plants And Productions of The Worlds In The Planets, Londres, James Knapton, 1722 [Seconde édition]. Les thèses de Huygens sur la vie extraterrestre, particulièrement sur la vie lunaire, seront reprises par de nombreux astronomes éminents du XVIIIe siècle. Citons : James Ferguson, Astronomy Explained on Sir Isaac Newton’s Principles, Londres, Globe, 1756 ; William Herschel, Observation Journal, 1776, microfiche, cité par Richard Holmes, The Age of Wonder, Londres, Harper Press, 2008, p. 94-95

About Marie-Pierre Renaud

I am an anthropologist living in Quebec city, Canada. I specialize in native studies and anthropology of health. I am a geek. I founded and now co-manage The Geek Anthropologist blog. I am working on transforming my memoir into a book and journal articles. I like to knit while watching Star Trek. Reach out to me for collaborations! https://mariepierrerenaud.co/

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